Je flotte dans le bleu immense, à la fois profond et
lumineux. En apesanteur, j’ai l’impression de voler. Seul
parvient à mes oreilles le bruit de ma respiration régulière,
mêlant le petit chuintement caractéristique du détenteur au
glougloutement des bulles d’air s’échappant vers la surface.
L’espace dans lequel j’évolue est infini, j’ai perdu tout repère
visuel. Mes oreilles ne se tendent pas douloureusement,
m’indiquant que je suis bien stabilisée. L’ordinateur à mon
poignet annonce trente-deux mètres de profondeur. Lorsque
je regarde sous mes pieds, les abysses me renvoient
d’étranges rais lumineux, disposés en étoile, tandis qu’en
tordant le cou vers le ciel, je distingue le clapotis mousseux
des vagues et les rayons solaires qui diffusent vers nous.
Rien que l’intensité de ce bleu, c’est saisissant.
Au loin, une ombre immense et mal limitée se dessine
peu à peu. Mes yeux se plissent pour identifier l’apparition
de plus en plus nette. Sur près de dix mètres de haut, un
gigantesque banc de Barracudas tournoyant se détache sous
mes yeux écarquillés. De grands poissons oblongs et
argentés par milliers, striés de rayures noires caractéristiques,
suivent à l’unisson une direction commune et instinctive
dans une spirale infernale et compacte. Leur rotation infinie
demeure tandis que mes palmes m’entraînent
irrémédiablement au cœur de cette tornade lente et
majestueuse. Je distingue alors sans peine leurs
impressionnantes mâchoires armées de crocs puissants et
leurs gros yeux globuleux, leur conférant malgré eux un air
antipathique. Les bulles d’air que j’expire ne perturbent
qu’un instant leur trajectoire en rangs bien serrés. Ils
s’écartent alors légèrement du cercle et leur procession
solennelle se poursuit. Comme si de rien n’était.
Hypnotisée, je m’allonge dans le mouvement, crispant
mon corps d’une prière silencieuse, étirant ma silhouette par
mimétisme, espérant naïvement me faire passer pour l’un
des leurs. Nos regards se croisent, je deviens poisson. Je les
presse mentalement de m’accepter parmi eux et de m’inclure
dans leur ronde. Je voudrais tournoyer encore et goûter leur
aisance mais un sifflement bref retentit brusquement,
tranchant le fond sonore, maintenant constitué du cliquetis
incessant des poissons-perroquets picorant le massif
corallien, à l’image des gallinacés de basse-cour (le récif n’est
jamais loin). Ma rêverie s’interrompt à ce moment précis.
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