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Le témoignage de Sylvana

Dernière mise à jour : 10 juil. 2018




"Au septième mois de grossesse, j'étais très fatiguée. Mon beau-père m'a appelée pour me signaler qu'un couple de Popa'a, des Français, cherchait un enfant. Je ne voulais pas donner ma fille", raconte Sylvana. Finalement, elle remet Angèle le jour de l'accouchement, en octobre 2009, au couple rencontré quelques mois plus tôt. "J'étais attachée à mon enfant, mais je ne voulais pas le reprendre. Ce n'est pas un abandon, je souhaite qu'il ait un bel avenir", assure la jeune femme qui élève deux fillettes, en faisant des ménages et en vendant des crêpes.


"J'étais attachée à mon enfant, mais je ne voulais pas le reprendre. Ce n'est pas un abandon, je souhaite qu'il ait un bel avenir"


Chaque année, une quarantaine d'enfants nés en Polynésie française quittent leur île pour grandir à 18 000 kilomètres de là, dans une famille métropolitaine. Il s'agit souvent de nouveau-nés, promis dès avant la naissance à des métropolitains munis d'un agrément pour l'adoption.


La notion d'abandon est étrangère à la culture océanienne, et, en cas d'empêchement des parents, les enfants sont pris en charge par les proches. Ici, pas d'orphelinat où aller rencontrer des bébés. Les candidats à l'adoption doivent faire connaître leur désir de fonder une famille afin de susciter une rencontre avec des personnes prêtes à confier leur progéniture. On voit ainsi fleurir des petites annonces dans les cabinets de sage-femme présentant les parents adoptifs. Certains distribuent des cartes de visite dans les lieux publics, d'autres s'adressent aux associations ou font du porte-à-porte dans les quartiers défavorisés.


Après avoir tenté leur chance en Russie, Régine et Pascal prospectent à Tahiti depuis décembre 2011, date à laquelle un couple leur avait offert leur enfant à naître. Ils sont revenus en février pour l'accouchement. "Le papa nous a dit qu'il ne voulait plus nous donner sa fille parce qu'il l'aimait trop. Il faut l'accepter, même si nous nous faisions une joie de recevoir cette enfant", expliquent-ils. Ils sont repartis en quête.



"LA RELATION QUI PEUT SE CRÉER ENTRE LES DEUX FAMILLES EST PRIMORDIALE"


La fermeture de nombreux pays à l'adoption internationale tend à faire progresser le nombre d'adoptants qui se tourne vers la Polynésie et une centaine de candidats à l'adoption sillonnent chaque année le territoire. Mais ils sont peu à repartir comblés.


"Les parents biologiques n'adhèrent pas facilement à un projet d'adoption, confirme Valérie Hong-Kiou, assistante sociale au bureau de l'adoption de la direction des affaires sociales de la Polynésie française. Ils acceptent parfois en réaction à une difficulté dans leur vie conjugale ou dans le vécu de la grossesse. Ils éprouvent aussi de la compassion envers ceux qui ne peuvent procréer, et la relation qui peut se créer entre les deux familles est primordiale."


"lls acceptent parfois en réaction à une difficulté dans leur vie conjugale ou dans le vécu de la grossesse. Ils éprouvent aussi de la compassion envers ceux qui ne peuvent procréer, et la relation qui peut se créer entre les deux familles est primordiale."


Un chantage financier s'instaure parfois. "L'adoption prospère sur la détresse", constate le juge aux affaires familiales, Marc Meunier. "Certains sont prêts à tout pour assouvir leur désir d'enfant, alerte Laurence Plainard de l'association Maeva, qui rassemble des familles ayant adopté en Polynésie. Mais les adoptants doivent mettre les limites et ne pas entrer dans l'engrenage de l'argent."


"L'adoption prospère sur la détresse"



UNE ENQUÊTE DE GENDARMERIE AU PRÉALABLE

Pour éviter certains abus qui ont pu exister dans les années 1970 et 1980, décennies pendant lesquelles jusqu'à 200 enfants quittaient le territoire chaque année, une entrevue avec un travailleur social et une enquête de gendarmerie permettent désormais de vérifier les conditions de la mise en relation entre les parents et constituent un préalable à toute démarche.


La procédure d'adoption d'un enfant polynésien s'appuie sur une pratique dérogatoire au droit commun, qui interdit l'adoption des enfants de moins de 2 ans, sauf en cas d'abandon. Mais grâce à l'établissement d'une délégation d'autorité parentale (DAP) accordée par le juge aux affaires familiales du tribunal de Papeete, les parents adoptants repartent avec l'enfant.

"C'est une adoption qui ne dit pas son nom, reconnaît Marc Meunier. Mais, on sait que le succès d'une telle aventure se fait au plus près de la naissance." Cette DAP est ensuite confirmée aux deux ans de l'enfant par un jugement d'adoption, après recueil du consentement des parents biologiques. Une période transitoire de deux ans qui suscite les craintes d'un possible changement d'avis.


Le service des affaires sociales de la Polynésie française espère d'ailleurs une refonte de la procédure pour se voir confier un rôle plus important qui éviterait des face-à-face douloureux entre parents adoptants et biologiques et assurerait mieux le respect de la conception polynésienne du don d'enfant.

En 2009, dans son rapport aux Nations unies, la défenseure des enfants, Dominique Versini, recommandait notamment de mieux protéger le consentement des parents biologiques et de privilégier l'adoption simple.


"AUJOURD'HUI, ANGÈLE A DE LA CHANCE D'AVOIR QUATRE PARENTS !"


"Outre le rapport économique qui joue en faveur de l'accord des familles biologiques, il existe un déséquilibre sur la compréhension des procédures juridiques, notamment en ce qui concerne le type d'adoption", estime Me Pascal Gourdon, avocat. Les métropolitains préfèrent souvent une adoption plénière, mais celle-ci efface la filiation biologique.


"La maîtrise de l'histoire relève alors entièrement des parents adoptants, regrette Valérie Hong-Kiou. L'adoption simple assure, elle, le maintien dans l'état civil de son passé. Elle est plus respectueuse de la conception des Polynésiens qui estiment que l'enfant, même adopté, fait toujours partie de la famille. Je veux croire que, dans la majorité des cas, les choses se passent bien et que les adoptants respectent leur engagement de conserver des contacts." La confiance placée dans le respect de la parole donnée aux parents biologiques constitue la seule garantie.


"L'adoption simple assure, elle, le maintien dans l'état civil de son passé. Elle est plus respectueuse de la conception des Polynésiens qui estiment que l'enfant, même adopté, fait toujours partie de la famille".


Le maintien du lien peut jouer un rôle important dans la construction identitaire de l'enfant, remarque Véronique Ho Wan, psychologue, "il lui sera ainsi plus facile d'aller éventuellement à la recherche de ses origines, même s'il est parfois plus difficile pour lui d'accepter de concevoir qu'une famille, quelque part, l'a confié en adoption". Car si les parents biologiques envisagent comme un don fait à leur enfant la démarche de le confier à des tiers capables de lui offrir une meilleure qualité de vie, "il ressentira l'abandon", selon Laurence Plainard, de l'association Maeva.


Sylvana, quant à elle, a revu sa fille en août 2011 : "Aujourd'hui, Angèle a de la chance d'avoir quatre parents !"

Rassurée sur l'avenir de son enfant, la jeune femme ne veut, néanmoins, pas envisager une nouvelle grossesse. "J'aurais trop peur d'avoir à nouveau un couple de Popa'a devant moi !"





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