Pour bien comprendre la notion de fa’a’amu, il faut tout d’abord s’attacher à décortiquer celle d’utuafare, autrement dit le cadre familial de l’enfant polynésien. Seule cette approche de la famille traditionnelle polynésienne avec ses spécificités, ses règles de fonctionnement, sa hiérarchie, sa position dans le groupe, ses fragilités permet d’appréhender aujourd’hui ce qu’est devenu le fa’a’amu « moderne ».
La comparaison implicite avec les standards occidentaux nous autorise alors à envisager les écarts et les éventuelles difficultés, qui peuvent apparaître quant au statut de ces enfants.
L’utuafare d’hier, c’était la maisonnée au sens large, c’est-à-dire avec les arbres fruitiers qui entouraient la maison (le fare), le fa’a’apu (plantation) qui permettait la culture du ma’a, le va’a* (la pirogue) pour aller pêcher. Cette conception était donc tournée vers la notion de subsistance pour un groupe d’individus, vivant sous le même toit, traduisant une réalité économique incontournable. Le cœur de la famille était le ‘opu ho’e (littéralement un ventre) qui concernait tous les descendants issus du même ancêtre, le tupuna*. Les frères et sœurs et leurs descendants sur plusieurs générations se partageaient les terres familiales en indivision, et cohabitaient avec leurs feti’i*, membres de la famille élargie et apparentés, dont les liens du sang étaient plus ou moins éloignés.
Aujourd’hui encore, le foyer demeure un centre de hiérarchie, construit autour de l’autorité de la personne qui nourrit, protège, habille, donne un peu d’argent. Il arrive fréquemment, qu’une seule personne, titulaire d’un emploi salarié, nourrisse à elle seule, une douzaine de membres de cette maisonnée.
Les enfants étaient en quelque sorte répartis et communs. Une sorte d’équilibre s’établissait naturellement, compensant la surnatalité des uns, au bénéfice de l’infécondité des autres, ou encore permettant de combler celui ou celle qui souhaitait une fille ou un garçon et qui n’avait pas d’enfant de ce sexe. Cette conception de partage des droits et des devoirs soulageait également les très jeunes mères, afin permettre aux jeunes gens de vivre pleinement leur adolescence et leur liberté sexuelle (le taure’are’a).
Les enfants maltraités ou en danger car non acceptés ou nés de relations incestueuses ou orphelins étaient recueillis par d’autres. Les enfants des îles envoyés à Tahiti pour y être soignés ou scolarisés étaient également pris en charge par la famille. On entrevoit aussi que la composition des familles n’était pas fixe, les personnes allant au gré de leurs préoccupations d’un groupe à l’autre.
Cette circulation d’enfant avait aussi pour bénéfice de maintenir les différents individus du groupe dans leur rôle social. Les parents biologiques engendraient, les grands-mères élevaient les enfants qu’elles ne pouvaient plus concevoir, les oncles et tantes assuraient l’éducation, les tupuna, la transmission des légendes familiales et la répartition des terres.
Le mythe de la tradition de confier son premier-né à sa mère ne repose sur aucune vérité historique, c’est une invention récente qui a été reprise pour tenter d’expliquer le fa’a’amu qui repose avant tout sur une organisation sociale [1].
Cet aspect collectif dans l’attribution des enfants n’avait pas plus de cause essentielle que le partage de la nourriture, de la pêche ou le bénéfice du travail d’un individu. Cette coutume traduit encore aujourd’hui le profond ancrage communautaire de la société ma’ohi, irrémédiablement bouleversé par l’évolution de la société polynésienne, inspirée par des croyances et des valeurs nouvelles, empruntées à l’idéologie occidentale.
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