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L'avis du spécialiste


Jean-Vital de Monléon

Pédiatre au CHU de Dijon depuis 1998, il a fondé la consultation adoption , qui suit près de 3000 enfants adoptés. Chercheur en anthropologie, spécialisé dans l'adoption, il est aussi père de 5 enfants dont 3 adoptés. Membre du conseil supérieur de l'adoption jusqu'en 2015 et membre du conseil national de protection de l'enfance depuis 2016.


Voici son propos dans le bulletin de L'amades en 2009:

(lien pour le pdf : https://journals.openedition.org/amades/894)


"Lors d’une étude à Maupiti et Raiatea, j’avais tenté de classer les différents types de transferts d’enfants existant dans ces îles :


• Coopération familiale : donner un enfant à un proche qui le désire. Cette raison est sans doute la plus proche de la tradition. La demande vient des adoptants. Il peut s’agir d’un couple stérile qui fait cette demande à des membres de sa famille déjà parents de plusieurs enfants. Ou aussi des parents du père ou de la mère biologiques, désireux d’avoir des enfants à domicile.


• Alternative à la planification familiale : en raison de contraintes culturelles et religieuses, celle-ci n’a pas eu, en Polynésie, la même efficacité qu’en métropole. Dans un certain nombre de cas, souvent dès le début de la grossesse, le couple qui ne se sent pas capable de prendre en charge l’enfant à venir va chercher à le confier, dès sa naissance, à un couple en recherche d’enfants. C’est le cas de la plupart des adoptions par des Métropolitains.


• Raison conjugale : ce phénomène récent traduit la modernisation de la population polynésienne ; le nouveau conjoint d’une mère célibataire n’est pas désireux de prendre en charge l’enfant d’un autre, qui sera confié à des proches.


• Raison professionnelle : récente, cette autre raison est sans doute la cause principale des transferts d’enfants en Polynésie. Certaines femmes attendent un enfant alors qu’elles sont encore scolarisées ou qu’elles ont un emploi moderne. Le nourrisson est alors confié à des proches, adoption le plus souvent temporaire, mais retourne auprès de ses parents biologiques à l’âge scolaire.


Dans la littérature polynésienne de la fin du XXe siècle, l’adoption transparaît souvent au fil des pages, et il est rare qu’elle ne soit pas évoquée dans les écrits d’un vrai amateur de la Polynésie tant elle semble fréquente. Comme le dit Paul Ottino dans son ouvrage Rangiroa. Parenté étendue, résidence et terres dans un atoll polynésien (Paris, Cujas 1972), qui reste la référence en anthropologie sociale : « sa survenue constitue la norme et c’est son absence qui nécessite une explication ».


A ma connaissance, on ne trouve pas encore dans la littérature de témoignage d’adoption interethnique d’enfant polynésien par des Européens, si ce n’est dans deux ouvrages qui évoquent deux échecs. Le premier est le Journal d’une parisienne en voyage d’Alexandre Dumas, réédité à Papeete (Éditions Avant et après, 2001). La narratrice a confié ses notes à Dumas. Elle raconte sa tentative d’adopter une petite maorie, en Nouvelle-Zélande, tentative qui échoue par le fait de la famille élargie. Le deuxième échec est dû à un Européen qui refuse d’adopter un nouveau-né que lui propose sa vahine, (Tahiti dernier paradis de Darnois et Putigny. Depuis ces épisodes anecdotiques, l’adoption d’enfants polynésiens par des popa’a s’est constamment développée, en particulier depuis le début des années 1980.


Sentiments polynésiens sur l’adoption par les popa’a.


Au début de l’année 2002, j’ai rencontré différents responsables de Raiatea, et de nombreuses familles de la côte ouest de cette île qui ont donné des enfants à des popa’a, en vue de percevoir les sentiments de la population polynésienne sur le don d’enfants à des Métropolitains.


Les sentiments des autorités


On relève peu d’implication des autorités politiques, d’État et du Territoire, élues ou nommées ; elles avouent ne pas être très consultées sur ce phénomène. Directement confronté à l’adoption, le personnel social ou juridique en connaît mieux les données. Les services sociaux des Îles-sous-le-Vent affichent au premier abord leur découragement face au phénomène d’adoption par les popa’a à cause de la conduite de certains postulants et de quelques familles biologiques.

On cite quelques cas dramatiques qui ont donné beaucoup d’inquiétude et parfois du remord, mais de belles histoires apparaissent aussi et n’y a pas une hostilité complète à ces adoptions interethniques.


Pour l’Église évangélique, l’adoption peut être utile, mais elle traduit l’irresponsabilité des Polynésiens : beaucoup de situations pourraient trouver une autre solution si les parents (principalement les pères) réformaient leur conduite.

L’Église catholique est moins catégorique. L’adoption peut être une solution en raison du refus de la contraception et surtout de l’IVG. Les Mormons, tout comme les Témoins de Jéhovah, autorisent leurs ouailles à adopter et leur refusent la possibilité de donner des enfants en adoption. Adventistes, Pentecôtistes et Sanito semblent plutôt bienveillants. Mais, comme les autorités politiques, les autorités religieuses sont peu consultées : la décision semble strictement privée, limitée au cercle familial.


Les sentiments des familles


Certains Polynésiens sont de farouches opposants aux Popa’a qui « pillent » la Polynésie, plutôt que d’adopter des enfants de pays où règne la misère. D’autres y voient une chance pour l’enfant.

La plupart des familles qui ont donné des enfants ne regrettent pas leur geste. Beaucoup considèrent la nouvelle famille de leurs enfants comme de nouveaux fetii (parents). Le regret le plus fréquent est de ne plus avoir de nouvelles, cette plainte revenant dans près de la moitié des cas. Les photos des enfants donnés en fa’a’amu sont exposées fièrement, tout comme les cadeaux envoyés de France : l’enfant fait encore partie de la famille. Pour la plupart des familles adoptives rencontrées en France, ce maintien des liens est d’ailleurs le principal avantage qui les a fait se tourner vers l’adoption en Polynésie. Quand il n’existe plus, cela est très mal vécu par les familles biologiques restées sans nouvelles.


Si je n’ai pas rencontré de famille qui refusait de signer le consentement à l’adoption, certains cas m’en ont été rapportés par les services sociaux ou juridiques. Il s’agit le plus souvent de familles très marginalisées qui espèrent par ce moyen tirer quelque revenu. J’ai rencontré quelques familles qui s’étaient engagées, pendant la grossesse, à donner leur enfant, pour se rétracter après la naissance. Enfin, il peut s’agir d’erreur « technique », quand l’échographie annonce une troisième fille et qu’arrive un premier garçon.

Dans tous ces cas, les mères avouent un certain malaise ; une honte d’avoir failli à leur parole.


Quelle évolution pour l’adoption à la tahitienne ?


Si la tradition du fa’a’amu est ancienne, si la plupart des adoptants européens la respectent, elle est malheureusement de plus en plus souvent bafouée. Il existe actuellement deux manières pour adopter un enfant polynésien :

La plus répandue est l’adoption directe. Une famille polynésienne et une famille française se sont rencontrées grâce à des relations communes, ont un projet commun autour de l’enfant à naître ou qui vient de naître. Après la naissance, tout est officialisé devant le juge par une délégation d’autorité parentale, qui confie l’enfant au couple adoptif pour deux ans. En effet, la loi française stipule qu’on n’a le droit de confier son enfant en vue d’adoption à un tiers que si celui-ci est âgé de plus de deux ans.


La seconde manière d’adopter, mise en place depuis environ deux ans par les services sociaux de Polynésie, ne représente qu’une adoption sur cinq. Les mères ou les couples désireux de donner leur enfant en adoption se tournent vers les services sociaux qui vont leur proposer un choix entre plusieurs dossiers de postulants. Les deux familles sont mises en relation par ces mêmes services. Dès sa naissance, l’enfant est confié au service social et ses parents biologiques signent un consentement à l’adoption. Pendant les deux mois de période de rétractation l’enfant est confié à ses parents adoptifs, considérés comme famille d’accueil.


Il existe aussi des moyens illégaux, le plus usité étant que le père adoptif reconnaisse l’enfant comme son enfant naturel. Si l’on croise en Polynésie les meilleurs parents adoptifs, on y rencontre aussi les pires, qui, refusés de toutes part, espèrent profiter d’une situation floue. Mais tout postulant doit disposer d’un agrément à l’adoption délivré par le Conseil général de son département de résidence. Toute adoption sans ce précieux sésame est illégale.


Avantages et inconvénients des deux modes d’adoption


La méthode directe, quand tout se passe bien, est sans doute la plus belle façon d’adopter un enfant, mais elle est très dangereuse en cas de problème : décision trop rapide, retour de l’enfant après la période de deux ans. Pensons à l’affaire du petit Lionel confié à une famille française par sa mère polynésienne, et dont le père biologique (popa’a), découvrant sa paternité plusieurs mois après la naissance, a tout mis en œuvre, avec succès, pour le récupérer. Affaire qui a plus choqué les Polynésiens que les Métropolitains. Dans cette adoption directe, le principal risque vient du fait qu’elle reste peu encadrée et que, d’un côté comme de l’autre, il peut y avoir des dérapages. Ainsi, quand la pudeur d’une femme tahitienne, sa commisération vis-à-vis d’un couple stérile, l’empêche d’exprimer un « NON » clair et net, certains l’interprètent comme une hésitation et risquent d’utiliser différents moyens pour faire pencher la balance de leur côté. Le pire sera l’achat de cet enfant. Il faudrait aussi parler des intermédiaires, qui interviennent dans ce mode d’adoption.


Quant à l’adoption par le biais des services sociaux, la principale crainte qu’elle génère est de mettre à mal le système d’adoption polynésien. Si l’adoption existe depuis des siècles dans le monde ma’ohi, elle n’a été véritablement légalisée en France qu’en 1966. Aussi, sur ce point, la « mère patrie » est un tout jeune nourrisson, par rapport à la sagesse de son territoire du Pacifique sud. Il aurait été paradoxal d’instituer à Tahiti l’accouchement sous X et l’abandon.


Quelques conseils


Il ne faut pas que les mères polynésiennes hésitent à dire non quand une demande est faite avec insistance, même si « ça fait pitié », et en aucun cas, entrer dans le jeu de certains Popa’a qui ne respectent pas la tradition polynésienne et considèrent Tahiti comme un supermarché aux enfants.


Les familles françaises qui viennent adopter ne doivent pas utiliser des intermédiaires douteux, harceler toutes les femmes enceintes, poursuivre les femmes jusque dans les maternités. On n’adopte pas à Tahiti comme à Bucarest ou à Bogotá : on ne vient pas à Tahiti sauver un enfant du Tiers Monde. Il faut accepter le maintien des liens, grande chance pour l’enfant. Dans ma consultation du Centre hospitalier universitaire de Dijon, je suis beaucoup d’adolescents polynésiens adoptés ; dans la majorité des cas, ceux qui ne vont pas très bien sont ceux dont les contacts avec la famille de naissance ont été rompus.


Les autorités sociales de la Polynésie française, en codifiant l’adoption dans le respect de la spécificité polynésienne, vont dans le bon sens. L’adoption « à la polynésienne » peut être un modèle pour le reste du monde. Il faut reconnaître la richesse culturelle de ceux qui n’ont pas l’opulence matérielle et éviter le contre-exemple donné par la convention de La Haye : cet accord international fait pour moraliser et clarifier l’adoption internationale rejette, sans autre forme de procès, des pratiques jugées dangereuses, qui ont parfois fait leurs preuves depuis longtemps : adoption directe entre parents et la décision anténatale de cet accord, par exemple. Car, en dernier lieu, les parents biologiques et adoptifs, comme toutes les autorités, ne doivent jamais oublier que l’enfant doit être prioritaire."


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